lundi 5 mars 2012

« Alors ce sont… des originaux ? »

Nous tombons à présent (c’est le mot) sur l’affreuse séquence qui, dans l’ « Amadeus »  nouvelle manière, dépasse les bornes de la malhonnêteté intellectuelle ; LA séquence qui m’a d’ailleurs poussée à réagir alors que la scène originale – tout aussi imaginaire, d’ailleurs – commençait si bien : voyant que son mari refuse de soumettre son travail à l’approbation d’un comité de lecture et désireuse de l’aider à obtenir ce poste à la cour, Constance, de son propre chef, montre à Salieri un florilège des oeuvres de son époux ; ce qui nous vaut l’une des plus belles scènes du film, aussi crédible qu’intelligemment pédagogique : Salieri, à la fois pétrifié d’admiration et dévoré de jalousie, lit avec avidité les manuscrits si parfaits de Mozart, ces premiers jets sans la moindre rature que Constance lui a apportés et qui, aux dires de la jeune femmes, sont des originaux car son mari « ne fait pas de copie ». Jusqu’ici tout va bien car la description que le Salieri (rêvé) de Milos Forman fait de la musique de Mozart est d’une parfaite justesse : « une musique comme jamais musique ne fut achevée : déplacer une seule note, et on serait allé vers l’amoindrissement. Déplacer une seule phrase, et on aurait vu la structure s’effondrer ». On ne saurait mieux dire.
Pourquoi a-t-il fallu que cet épisode magique soit à ce point dégradé ? Car Salieri – lui qui affirme, au début du film, avoir fait vœu de chasteté – ordonne alors à Constance de revenir seule, le soir-même, pour recevoir sa réponse. Ce que la jeune femme, terrifiée mais prête à tout pour que son mari obtienne enfin un poste fixe, accepte la mort dans l’âme. Nous avons donc droit à un strip- tease partiel de Constance que Salieri, l’air mauvais, fait renvoyer par un valet au moment où elle s’apprêtait à « enlever le bas » - lui infligeant ainsi une humiliation supplémentaire.
Dans cette scène grotesque, deux personnes se retrouvent en fait avilies : le vrai Salieri bien sûr, qui n’eut jamais besoin de menaces ni de chantage pour avoir toutes les femmes qu’il voulait, mais surtout la vraie Constance, que trop de biographes ont fait passer pour une femme facile alors que nous avons si peu de documents la concernant ; et tout cela à cause de deux lettres de son mari – ou plutôt de l’interprétation erronée que beaucoup en ont faite.
Lettre du 16 avril 1789, écrite pendant la première séparation du couple après sept ans de mariage : « Je te demande de prendre garde à ta conduite, non seulement à ton et à mon honneur, mais même aux apparences. Ne te fâche pas de cette demande. Tu dois m’aimer d’autant plus, pour la façon dont je tiens à l’honneur ». Loin de révéler les infidélités supposées de Constance, ce petit mot trahit pour moi la peur irrationnelle de n’être pas aimé qui taraudait son mari. Car Mozart sera tout aussi soucieux de la vertu de sa femme trois mois plus tard, lorsque Constance, alors enceinte de huit mois, récupèrera à Baden de la grave maladie infectieuse qui faillit l’emporter ; un état qui, vous en conviendrez, ne prédispose pas vraiment à la bagatelle ! Ces lignes écrites à la mi-août 1789 sont révélatrices de l’insécurité affective du compositeur : « En ce qui concerne ton pied, il ne te faut que prendre patience… Je suis donc enchanté lorsque tu es gaie ! Certes ! Mais je souhaiterais que tu ne sois pas aussi familière que tu l’as été jusqu’ici. Souviens-toi seulement que tu m’as avoué un jour être trop liante !  Ne me tourmente pas avec une jalousie inutile !».

Nous ne savons quasiment rien de Constance Mozart, qui a détruit ses propres lettres en ne laissant à la postérité que deux ou trois post-scriptum sans intérêt. Mais cela ne donne à personne le droit de caricaturer ainsi une femme que Mozart déclara, tant de fois, « aimer de tout son cœur ».

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