Nous
tombons à présent (c’est le mot) sur l’affreuse séquence qui, dans
l’ « Amadeus » nouvelle manière, dépasse les bornes
de la malhonnêteté intellectuelle ; LA séquence qui m’a d’ailleurs
poussée à réagir alors que la scène originale – tout aussi imaginaire,
d’ailleurs – commençait si bien : voyant que son mari refuse de soumettre son
travail à l’approbation d’un comité de lecture et désireuse de l’aider à
obtenir ce poste à la cour, Constance, de son propre chef, montre à Salieri un
florilège des oeuvres de son époux ; ce qui nous vaut l’une des plus
belles scènes du film, aussi crédible qu’intelligemment pédagogique :
Salieri, à la fois pétrifié d’admiration et dévoré de jalousie, lit avec
avidité les manuscrits si parfaits de Mozart, ces premiers jets sans la moindre
rature que Constance lui a apportés et qui, aux dires de la jeune femmes, sont
des originaux car son mari « ne fait pas de copie ». Jusqu’ici tout
va bien car la description que le Salieri (rêvé) de Milos Forman fait de la
musique de Mozart est d’une parfaite justesse : « une musique comme jamais musique ne fut achevée :
déplacer une seule note, et on serait allé vers l’amoindrissement. Déplacer
une seule phrase, et on aurait vu la structure s’effondrer ». On ne
saurait mieux dire.
Pourquoi
a-t-il fallu que cet épisode magique soit à ce point dégradé ? Car Salieri
– lui qui affirme, au début du film, avoir fait vœu de chasteté – ordonne alors
à Constance de revenir seule, le soir-même, pour recevoir sa réponse. Ce que la
jeune femme, terrifiée mais prête à tout pour que son mari obtienne enfin un
poste fixe, accepte la mort dans l’âme. Nous avons donc droit à un strip- tease
partiel de Constance que Salieri, l’air mauvais, fait renvoyer par un valet au
moment où elle s’apprêtait à « enlever le bas » - lui infligeant
ainsi une humiliation supplémentaire.
Dans
cette scène grotesque, deux personnes se retrouvent en fait avilies : le
vrai Salieri bien sûr, qui n’eut jamais besoin de menaces ni de chantage pour
avoir toutes les femmes qu’il voulait, mais surtout la vraie Constance, que
trop de biographes ont fait passer pour une femme facile alors que nous avons
si peu de documents la concernant ; et tout cela à cause de deux lettres de son
mari – ou plutôt de l’interprétation erronée que beaucoup en ont faite.
Lettre
du 16 avril 1789, écrite pendant la première séparation du couple après sept
ans de mariage : « Je te demande de prendre garde à ta
conduite, non seulement à ton et à mon honneur, mais même aux apparences. Ne te
fâche pas de cette demande. Tu dois m’aimer d’autant plus, pour la façon dont
je tiens à l’honneur ». Loin de révéler les infidélités supposées de
Constance, ce petit mot trahit pour moi la peur irrationnelle de n’être pas
aimé qui taraudait son mari. Car Mozart sera tout aussi soucieux de la vertu de
sa femme trois mois plus tard, lorsque Constance, alors enceinte de huit mois,
récupèrera à Baden de la grave maladie infectieuse qui faillit
l’emporter ; un état qui, vous en conviendrez, ne prédispose pas vraiment
à la bagatelle ! Ces lignes écrites à la mi-août 1789 sont
révélatrices de l’insécurité affective du compositeur : « En ce qui concerne ton pied, il ne te faut
que prendre patience… Je suis donc enchanté lorsque tu es gaie !
Certes ! Mais je souhaiterais que tu ne sois pas aussi familière que tu
l’as été jusqu’ici. Souviens-toi seulement que tu m’as avoué un jour être trop
liante ! Ne me tourmente pas avec
une jalousie inutile !».
Nous
ne savons quasiment rien de Constance Mozart, qui a détruit ses propres lettres
en ne laissant à la postérité que deux ou trois post-scriptum sans intérêt.
Mais cela ne donne à personne le droit de caricaturer ainsi une femme que
Mozart déclara, tant de fois, « aimer de tout son cœur ».
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