En
avançant dans le film, nous voyons Joseph II très tenté d’engager Mozart comme
professeur particulier de la princesse Elizabeth de Würtemberg, et Salieri
bassement manoeuvrer pour que Mozart soit obligé, avant d’obtenir ce poste, de
soumettre sa musique à un comité de lecture ; dans l’espoir – exaucé - que
Wolfgang, par orgueil, refuse cet examen.
Il
s’agit d’une fable de plus : si Wolfgang n’obtint effectivement pas le poste
convoité – attribué à un certain Georg Summer, un proche de Salieri -, ce ne
fut pas pour avoir refusé de présenter sa musique à un jury mais parce
qu’il a eu le tort, le 17 novembre 1781, d’écrire à son père avec la franchise
et le manque de prudence qui le caractérisaient. Voici ce que dit Mozart à
Léopold de l’Archiduc Franz - le plus jeune frère de Joseph II, par l’entremise
de qui il espérait devenir le professeur de musique particulier de la princesse
: « Quand d’ordinaire Dieu donne une
charge à quelqu’un, il lui donne aussi l’intelligence ! Ah ! Si vous
pouviez voir l<’Archiduc> ! L<’imbécillité> lui sort
par les yeux, il parle et discourt sans arrêt à l’infini et tout en fausset, il
se rengorge, en un mot il semble que le personnage soit complètement
retourné ! … Quant au Prince (le frère de la princesse Elizabeth en
question) c’est une perche de 18 ans, un vrai veau ».
Or
le courrier à cette époque là était intercepté et lu par les autorités - à
Vienne mais aussi à Salzbourg, Léopold Mozart s’en plaindra pendant des
années ; et tout particulièrement le courrier des gens qui prétendaient
pénétrer l’entourage de la famille impériale. Comment Joseph II aurait-il engagé
Mozart après pareille lettre ? Car le code familial qu’utilisaient les
deux Mozart pour brouiller les pistes et rendre inintelligibles certains noms
propres ou certains détails compromettants (des mots placés, dans la " correspondance
Mozart " comme dans la citation ci-dessus, entre des parenthèses pointues) était
hélas facile à décrypter et ne trompa personne.
Si
Mozart savait être ironique et mordant, il ne se vantait pourtant jamais et
surtout pas aux dépens de ses confrères compositeurs. Cela saute aux yeux en
lisant ses lettres à son père : il lui raconte que le théâtre était plein,
que la recette a été bonne, mais pas un mot sur la qualité de sa production
(qui sans doute allait de soi, pour le père comme pour le fils). Lettre à
Léopold du 29 mars 1783 : « Je crois
qu’il ne sera pas nécessaire de vous écrire longuement sur le succès de mon
académie, vous en avez sans doute déjà entendu parler. Réellement, il était
impossible que la salle soit plus remplie, elle était comble et toutes les
loges étaient occupées ». Ce
que Forman fait répondre à Mozart dans son film
- « Mozart, vous n’êtes pas le seul compositeur à Vienne !»
« Non, mais je suis le meilleur ! » – est donc de l’invention pure
et simple.
Car
j’ai vraiment cherché, dans les lettres de Wolfgang – en pure perte, car elles
n’existent pas –, les traces de cette fameuse arrogance dont parlent trop de
biographies, écrites ou filmées. Les seules critiques que j’y ai trouvées s’adressent
à des instrumentistes aimant trop la dive bouteille (Richter, à Strasbourg) ou
jouant mal sa musique (à Paris, notamment) ; ou bien à des chanteurs qui
ne mettaient pas assez d’expression dans leur jeu (comme le ténor Raaf). De la
production de ses confrères, pas un mot désobligeant. Et quand Mozart se plaint
à son père des Italiens de Vienne - qui font siffler, voire sabotent, tous ses premiers
opéras -, il ne porte aucun jugement sur leurs œuvres. Lettre à Léopold du
21 juillet 1782, à propos de « l’Enlèvement au Sérail » :
« Auriez-vous pu penser qu’hier la
cabale a été encore plus forte que le premier soir ? Tout le premier acte
a été sifflé, mais ils n’ont pas pu empêcher les puissants « bravo »
pendant les airs ». Autre lettre, du 7 mai 1783 cette fois : « Nous avons ici un certain Abate Da Ponte,
poète de son état. Il doit écrire un nouveau livret pour Salieri, et il m’a
promis d’en écrire ensuite un pour moi. Qui sait à présent s’il pourra ou
voudra tenir parole, vous le savez, Messieurs les Italiens sont très aimables
par devant ! Suffit, nous les connaissons ! S’il s’entend avec
Salieri, je n’en obtiendrai jamais rien de ma vie ! ».
Mozart, qui avait rencontré le vieux Sammartini (un maître de la
symphonie) et travaillé le contrepoint avec le Padre Martini pendant son
adolescence, savait ce qu’il devait à la musique italienne et ne se serait
jamais permis d’en dire du mal. Il n’a pas davantage éreinté la musique de
Salieri ni d’aucun autre, et ce que lui fait dire le
film « Amadeus » : « Les Italiens, naturellement, toujours
les Italiens, musicalement des crétins ! » est tout simplement faux.
Il
en va de même dans les lettres de Léopold à son fils : impossible d’y
dénicher le moindre compliment. C’est à Nannerl que Léopold parlera du
« magnifique concerto » que son frère a joué à Vienne en sa présence,
en 1785. Il est intéressant aussi de lire les conseils que Mozart père donna à Wolfgang
pendant les répétitions des « Noces de Figaro » : « Cherche simplement à garder tout l’orchestre de bonne humeur, à les
flatter et à te préserver leurs bonnes grâces en les félicitant comme il faut.
Car je connais ta manière d’écrire, elle exige de tous les instruments la plus
grande attention, à tout instant, et ce n’est pas une plaisanterie pour
l’orchestre que de devoir soutenir un tel zèle et une telle attention pendant
au moins trois heures ».
Que
nous voilà loin du « génie » adulé par son père, et surtout du
compositeur bouffi d’orgueil !
A son père vienne 31 Aout 1782
RépondreSupprimervous ne savez pas comment je puis me flatter de devenir le maestro de la princesse ?... C'est que Salieri n'est pas en état de lui enseigner le piano !...A a moins qu'il ne s'efforce de me faire du tort dans cette affaire en proposant quelqu'un d'autre,... ce qui pourrait bien être !...
Salieri en effet , proposa et fit accepter , a la place de Mozart un obscur maitre de piano qui ne pouvait lui porter aucun ombrage!!!!
extrait lettre de son père 18 avril 1786
c'est le avril que le Nozze di Figaro doivent être données pour la première fois. Ce sera beaucoup si ton frère réussi, car je sais qu'il a contre lui D'EFFRAYANTES CABALESSS !!!!! SALIERI, avec toute sa CLIQUE, va remuer ciel est terre. Si ton frère a TANT DE CABALES contre lui, c'est a cause de la considération que lui attirent son habileté et son extraordinaire talent...
1. L'opéra ne put être représenté que le 1er mais 1786. de nouveau, il fallut ordre de l'Empereur pour mettre fin aux cabales violentes qui si opposaient. Le succès fut éclatant
Mais il ne faut pas oublier que Mozart et Salieri était quand même ami et que le film Amadeus est loin de la vérité historique ... Très bon blog merci