lundi 5 mars 2012

« Si sa Seigneurie est mécontente de moi, que sa Seigneurie me renvoie »

L’archevêque Colloredo, tout de pourpre et de dentelles vêtu, précédé d'une volée de soutanes, fait dans le film une entrée fracassante, et pour cause : même s’il dépendait politiquement des Habsbourg – de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche et de son fils Joseph II, pour être précis - Colloredo était Primas Germaniae, autrement dit l’archevêque le plus puissant de la sphère germanique, juste après le pape. Et il était seul maître à bord dans sa prospère principauté de Salzbourg, où il édictait ses propres lois. 
Son arrogance et son mépris envers Mozart ne sont pas davantage une fiction car comme beaucoup de ses pairs "allemands", Colloredo ne voyait en ses musiciens de cour que des domestiques, privés du droit le plus élémentaire de se démettre de leur fonction.

Le film montre Mozart proposant à sa Seigneurie de quitter son service : dans la réalité, Mozart envoya à Colloredo quatre lettres de démission - qui, toutes, restèrent sans réponse.

Et c’est là que le film s’égare : Forman nous montre Mozart saluant très bas la foule de ses admirateurs, tournant délibérément le dos à son maître en lui montrant par la même occasion un derrière ironique, et reprenant sa liberté sous les vivats de ses fans.

La réalité fut hélas beaucoup plus cruelle et voilà ce que Mozart, le 6 mai 1781, écrivit à son père au sujet de cette entrevue avec Colloredo, à Vienne : « tout d’une haleine il m’a traité de fou, de gueux, de parasite. Cela allait comme un incendie, oh ! Je ne pourrais pas tout vous écrire ! ».  

Fatigué d’attendre une réponse à ses quatre demandes, Wolfgang retourna un mois plus tard chez le Prince-Archevêque. Mais c’est le comte Arco, directeur du personnel de sa Seigneurie, qui se chargea de l’accueillir. Lettre à Léopold du 8 juin 1781 : « pendant quatre semaines, on fait marcher quelqu’un ; et à la fin, quand ce quelqu’un est obligé de présenter lui-même sa requête, on le flanque à la porte et on lui donne un coup de pied au cul. C’est ça, le comte qui a tant de cœur (si j’en crois votre dernière lettre) ? C’est ça, la cour où je dois servir ? Cela s’est passé dans l’antichambre, de sorte qu’il n’y avait pas autre chose à faire que de sauter dehors et de s’enfuir ».

Mozart n’a donc arraché sa liberté qu’au prix d’une terrible humiliation publique que, pour une raison pour moi incompréhensible (car le réalisateur n’hésitera jamais, par ailleurs, à noircir le tableau), Milos Forman a choisi de ne pas nous montrer.

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