lundi 5 mars 2012

« Je déteste la politique »

Venons-en à présent à ces fameuses « Noces de Figaro » que Mozart a tenu à mettre en musique en 1786. Dans le film de Forman, nous le voyons plaider la cause de cet opéra qu’il vient juste d’achever, un opéra tiré de la pièce de théâtre du même nom pour laquelle Beaumarchais avait été embastillé à Paris deux ans plus tôt, et dont Joseph II avait censuré la traduction allemande. Par sa passion, son pouvoir de persuasion et la description très tentante qu’il fait de la fin de l’acte II (le fameux septuor de vingt minutes), Mozart parvient à arracher le consentement de l’empereur d’Autriche - en insistant sur le fait que le côté subversif de la pièce originale ne l’intéresse pas et a été tout à fait gommé dans son opéra.

Dans la réalité, Mozart était un lecteur de Beaumarchais (deux éditions françaises du « Mariage de Figaro » ont été retrouvées dans sa bibliothèque après sa mort) et fréquentait assidûment des « Frères » maçons de la tendance « illuministe », c’est à dire « de gauche  », qui professaient un anticléricalisme virulent tout en souhaitant la fin de l’absolutisme et l’abolition des privilèges de la noblesse et du clergé. Certes, Constance a soigneusement éliminé les lettres de son mari qui auraient eu un rapport avec la politique, une décision catastrophique pour les mozartiens mais qu’elle prit pour assurer sa tranquillité et celle de ses enfants - le sinistre Metternich (1773-1835) gouvernant l’Autriche lorsqu’elle a publié, en 1828, la biographie de Nissen et la correspondance de la famille Mozart.

Mais qui peut croire un instant que Wolfgang n’a pas partagé les opinions des van Swieten, von Born et autres von Sonnenfels dont nous connaissons les écrits radicaux, et qui formaient son cercle d’amis ? Méprisé à 21 ans par les aristocrates parisiens, malmené par le Prince Archevêque et par le comte Arco, Mozart avait grand soif de reconnaissance sociale. Lettre à Léopold du 20 juin 1781, à la suite du coup de pied au derrière fatal : « Au sujet d’Arco, je ne dois prendre conseil que de ma raison et de mon coeur…. Je ne suis pas un comte mais j’ai peut-être plus d’honneur au cœur que bien des comtes ; valet ou comte, du moment qu’il m’outrage, c’est une canaille ».  Contrairement à ce que lui fait dire le film, Mozart s’est donc forcément intéressé aux événements qui se préparaient puis se déroulèrent en France, de 1789 à sa mort.

Et ce n’est pas lui qui a réussi à convaincre Joseph II d’autoriser les représentations des « Noces de Figaro » à Vienne, mais Lorenzo da Ponte, son librettiste italien  - la pièce française n’étant interdite en Autriche que dans sa traduction allemande. C’est du moins ce qu’affirme da Ponte dans ses « Mémoires » et je pense que nous pouvons le croire, car le poète était très bien en cour et plutôt bien vu de l’empereur.

Quoi qu’il en soit, « Les Noces de Figaro », le plus bel opéra italien de Mozart, marquèrent le commencement de la fin de l’état de grâce du compositeur à Vienne, et les débuts de ses ennuis financiers : ridiculisés par cet opéra (où une simple soubrette et un valet ont le dessus sur leur maître en mettant les rieurs de leur côté), les aristocrates - viennois ou autres - dont Mozart, pour son malheur, dépendait financièrement rechignèrent désormais à financer ses « Académies » et ses concerts par souscription.

5 commentaires:

  1. Bonjour, très intéressants vos commentaires. Toutefois je trouve certaines formules un peu trop appuyées. Ainsi quand vous employez l'expression "de gauche" ; elle peut être est bien appropriée pour la "république française", mais pas pour le pays de Mozart. Puis, Mozart "anticlérical" ; là j'ai du mal à adhérer à cette vision, enfin certes, cela dépend sous quel critère elle est traitée.
    - Sur le plan religieux : Mozart a toujours manifesté sa foi chrétienne ; ainsi, écrit-il dans une lettre à son père : "j'ai toujours Dieu devant les yeux, je confesse sa toute puissance, je crains sa colère". Mozart avait toujours son chapelet avec lui et appartenait même à une congrégation mariale.
    - Sur le plan hiérarchique : il est sûr que c'est autre chose. Après avoir été au service d'un archevêque empreint de douceur et de largesse (Sigismund von Strattenbach), la transition avec un Colloredo rude et sec, fut un coup dur pour Mozart qu'il n'hésitait pas qualifier de "grand muphti".
    Oui, Mozart était un adepte des "lumières". Mais il faut bien préciser que le mouvement des "lumières" était différent entre la France et l'Allemagne.
    En Allemagne il portait le nom de "Aufklärung" (action d'éclairer) pronant l'émancipation intellectuelle tout en croyant en Dieu. Quand Mozart adhéra à la franc-maçonnerie (loge de la "Bienfaisance") c'était une volonté d'émancipation, dont de liberté (que le joug de Colloredo lui refusait). De plus, la franc-maçonnerie de Mozart faisait davantge figure de "confrérie" que de "loge" (terme plus hermétique à mon goût). Mozart y cotoyait des élites avec lesquelles il pouvait, fraternellement, partager ses passions et ses propos artistiques. Savoir si Mozart serait franc-maçon de nos jours ? Je ne me lancerais pas sur la question, mais j'ai le sentiment qu'il s'y regarderait à deux fois avant de s'y engager. Bien entendu, toutes les "loges" maçonniques ne prônent pas un virulent "anticléricalisme"...
    Pour achever mon commentaire, j'ai connaissance d'un petit ouvrage de René Lejeune, intéressant sans être exhaustif, - Le "divin" Mozart (fervent chrétien marial) - aux éditions (Suisse) du Parvis.
    Salutations cordiales "Mozartement votre"
    Christophe L.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonsoir,
      Il est exact que le mot "de gauche" est inapproprié à l'époque de Mozart, c'est bien pourquoi je l'ai mis entre guillemets.
      Je connais le livre "divin" Mozart dont vous parlez, il fait partie de ces ouvrages qui défendent l'image d'un Mozart catholique fervent.
      D'autres études de Mozartiens très pointus (dont Wolfgang Hildesheimer, mais il n'est pas le seul) s'incrivent en faux contre cette thèse.Car la phrase "j'ai toujours Dieu devant les yeux" provient de la dernière lettre de Mozart à Léopold dont nous n'avons pas retrouvé l'original (qui aurait été trop abîmé). Le texte qui nous est parvenu date du XIXème siècle, où tant de choses fausses ont été écrites sur Mozart (dans le sens de la béatification comme dans celui de la diabolisation, d'ailleurs). Difficile d'y voir clair;
      C'est en outre Léopold (et non son fils) qui avait toujours un chapelet sur lui, et qui reproche aux Parisiens d'ignorer cette pratique dans un lettre à son ami Hagenauer.
      De plus, en 1785, Mozart installé à Vienne parla à son père de Colloredo en disant qu'"un calotin est capable de tout". Si ça n'est pas de l'anticléricalisme, ça y ressemble.
      Mozart a effectivement participté à une procession chez les Maristes (une lettre à sa femme le raconte) mais pour une raison assez opportuniste : il cherchait un nouvel internat pour son fils Karl, qui ne faisait rien dans sa première école. Et les Maristes avaient la réputation de délivrer un enseignement de qualité.

      Enfin il faut savoir qu'aucun prêtre n'a daigné se déplacer pour administrer l'Extrême Onction à Mozart - malgré les suppliques de Constance et de sa soeur Sophie pour qui ce sacrement était très important.

      Que penser de tout cela ? Difficile d'affirmer une vérité, mais il y a tout de même des indices troublants qui pencheraient en faveur de la thèse qui veut que Mozart, à la fin de sa vie,se sooit éloigné du catholicisme et coupé de toute pratique religieuse.
      Ce qui ne veut pas dire q'uil ne croyait plus en Dieu : laissons Dieu en dehors de tout ça.

      Cordialement,

      Michèle Lhopiteau-Dorfeuille

      Supprimer
    2. Bonjour et très heureux de correspondre avec vous (en tant qu'admirateurs de Mozart).
      Il est sûr que le fait qu'aucun prêtre ne se soit déplacé pour donner à Mozart l'extrême-onction souhaitée, est bien contraire à la miséricorde que professe le catholicisme (et ce n'est surtout pas à cause d'une "tempête de neige" comme une légende le prétend). Dans ses dernières années Mozart, traversant des périodes turbulentes, surtout en cette sombre année 1790, se serait replié, abandonné aussi par ses amis (même Puchberg qui, à moins que je me trompe, ne l'aurait pas tant aidé que cela). En fait le salut viendra, comme vous le confirmez très bien dans votre ouvrage, en 1791 avec des commandes bien rémunérées. Et c'est bien Schikaneder qui est venu implorer Mozart de créer "La Flûte Enchantée", son théâtre tombant en "décrépitude". Enfin, si Mozart s'était un peu éloigné de la pratique religieuse (aurait-il eu affaire à d'autres "Colloredo"), il n'avait certes pas perdu la foi. La profondeur de l'émouvant "Ave Verum Corpus" (destinée au salut du "Saint-Sacrement" ) et la force de son "Requiem" en témoignent. Pax vobiscum Mozart.

      Cordialement
      Christophe L.

      Supprimer
    3. Bonsoir,

      Il faut effectivement souhaiter à Mozart de n'avoir pas perdu la foi, malgré le mépris que son père et lui éprouvaient envers le clergé de leur temps (non sans raisons). Mais pour avoir plusieurs fois chanté puis dirigé son "Requiem", je n'en suis pas aussi convaincue que vous, tant cette oeuvre renferme de pages angoissées (comme l'"oro supplex").
      L'"Ave verum" est en effet plus serein, mais il date du mois de juillet 1791, alors que Mozart était encore en pleine possession de ses forces.
      Nous ne saurons jamais la vérité et je souhaite, sans trop y croire, que ce soit vous qui ayez raison.


      Michèle Lhopiteau-Dorfeuille

      Supprimer
    4. Bonjour Madame
      Et grand merci pour votre délicate obligeance et, croyez bien que c'est un plaisir (pour moi) de converser avec vous.
      Comme vous dites, on ne saura jamais la vérité ; et c'est tant mieux que Mozart conserve sa part de mystère cela donne, à mon sentiment, beaucoup plus de magie à ce grand personnage.

      Cordialement
      Christophe Lescoutra
      Béziers

      Supprimer