Puis arrive la fameuse scène où Mozart, avant de prendre congé de
Joseph II, rejoue de mémoire, puis complète et embellit considérablement,
l’insignifiante petite marche de bienvenue écrite par Salieri, à laquelle il
semblait pourtant n’avoir prêté aucune attention en entrant dans la pièce. Ce
qui, bien sûr, humilie profondément l’Italien qui se jure alors de « faire
obstacle de toutes ses forces » à Mozart
- en qui il voit l’incarnation de ce Dieu qui lui a refusé le talent et
« fait de lui un muet ». Raymond
Leppard, l’un des conseillers musicaux du film « Amadeus »,
s’est même donné beaucoup de mal pour dénicher dans l’œuvre de Salieri un
morceau qui puisse devenir, sous les doigts de Mozart, le point de départ du
« non piu andrai » de
Figaro - que Wolfgang en réalité n’écrira que quatre ans plus tard.
Cette scène est pourtant totalement inventée et la vérité bien
plus extraordinaire que ce que nous montre le film. Mozart, âgé de 21 ans et
toujours à la recherche d’une situation, se trouvait à Paris avec sa mère quand
on le présenta à Cambini (1746-1828), l’une des gloires de la capitale
française. Voici
ce que Wolfgang rapporta à son père de cette entrevue, dans une lettre du 1er
mai 1778 : « Sans le vouloir,
j’ai rabaissé Cambini aux yeux de Legros (le Directeur du Concert spirituel) à la première entrevue : il a
composé des quartetti et j’en ai entendu un à Mannheim, ils sont très jolis et
je lui en ai fait le compliment. Je lui en jouai le début, il y avait là
Ritter, Raam et Punto, ils n’eurent de cesse que je continue et que j’improvise
ce dont je ne me rappelais plus. C’est ce que je fis. Cambini était hors de lui
et ne pouvait s’empêcher de dire « questa è un gran testa »
(quelle tête !) Mais cela ne lui aura guère plu. »
Autrement
dit, Mozart a été capable de rejouer de mémoire le début d’un quatuor à cordes
entendu deux mois plus tôt ; autre chose, assurément, que de mémoriser une
petite marche jouée au piano l’instant d’avant ! L’énormité de l’exploit -
et surtout ses conséquences - aurait pourtant dû intéresser le cinéaste
car, effectivement furieux et surtout très puissant, Cambini fit déprogrammer la
« symphonie concertante » de Mozart prévue pour le lendemain et lui barra
désormais l’accès à tous les concerts parisiens à venir.
Mais
le véritable propos de Shaffer et de Forman étant d’étudier les relations entre
un « génie » et un compositeur ordinaire et conscient de sa
médiocrité, il fallait bien que ce pauvre Salieri – qui n’en demandait sans
doute pas tant - se retrouve mis à toutes les sauces.
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