lundi 5 mars 2012

« Que Votre Majesté garde la partition, je l’ai déjà dans la tête »

Puis arrive la fameuse scène où Mozart, avant de prendre congé de Joseph II, rejoue de mémoire, puis complète et embellit considérablement, l’insignifiante petite marche de bienvenue écrite par Salieri, à laquelle il semblait pourtant n’avoir prêté aucune attention en entrant dans la pièce. Ce qui, bien sûr, humilie profondément l’Italien qui se jure alors de « faire obstacle de toutes ses forces » à Mozart  - en qui il voit l’incarnation de ce Dieu qui lui a refusé le talent et « fait de lui un muet ». Raymond  Leppard, l’un des conseillers musicaux du film « Amadeus », s’est même donné beaucoup de mal pour dénicher dans l’œuvre de Salieri un morceau qui puisse devenir, sous les doigts de Mozart, le point de départ du « non piu andrai » de Figaro - que Wolfgang en réalité n’écrira que quatre ans plus tard.

Cette scène est pourtant totalement inventée et la vérité bien plus extraordinaire que ce que nous montre le film. Mozart, âgé de 21 ans et toujours à la recherche d’une situation, se trouvait à Paris avec sa mère quand on le présenta à Cambini (1746-1828), l’une des gloires de la capitale française. Voici ce que Wolfgang rapporta à son père de cette entrevue, dans une lettre du 1er mai 1778 : « Sans le vouloir, j’ai rabaissé Cambini aux yeux de Legros (le Directeur du Concert spirituel) à la première entrevue : il a composé des quartetti et j’en ai entendu un à Mannheim, ils sont très jolis et je lui en ai fait le compliment. Je lui en jouai le début, il y avait là Ritter, Raam et Punto, ils n’eurent de cesse que je continue et que j’improvise ce dont je ne me rappelais plus. C’est ce que je fis. Cambini était hors de lui et ne pouvait s’empêcher de dire « questa è un gran testa »  (quelle tête !) Mais cela ne lui aura guère plu. »
Autrement dit, Mozart a été capable de rejouer de mémoire le début d’un quatuor à cordes entendu deux mois plus tôt ; autre chose, assurément, que de mémoriser une petite marche jouée au piano l’instant d’avant ! L’énormité de l’exploit - et surtout ses conséquences -  aurait pourtant dû intéresser le cinéaste car, effectivement furieux et surtout très puissant, Cambini fit déprogrammer la « symphonie concertante » de Mozart prévue pour le lendemain et lui barra désormais l’accès à tous les concerts parisiens à venir.

Mais le véritable propos de Shaffer et de Forman étant d’étudier les relations entre un « génie » et un compositeur ordinaire et conscient de sa médiocrité, il fallait bien que ce pauvre Salieri – qui n’en demandait sans doute pas tant - se retrouve mis à toutes les sauces.

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