lundi 5 mars 2012

« Je n’aime pas dire du mal de mes confrères compositeurs, mais … »

Les contrevérités que je voudrais à présent dénoncer proviennent en droite ligne de la désolante « version longue » d’Amadeus.

La première est surtout fâcheuse pour Salieri, que nous voyons distiller des calomnies au sujet de Wolfgang : à un Joseph II médusé, il raconte en effet, avec beaucoup de précautions oratoires,  que Wolfgang « malmène,  plusieurs fois au cours d’une même leçon », certaines des jeunes filles qui suivent des cours de piano avec lui. Quel tempérament !
Des insinuations en soi ridicules : s’il est probable que Mozart a été très amoureux de Theresa von Trattner, l’une de ses premières élèves à qui il a dédié la bouleversante « Sonate en Ut mineur », il s’agissait d’une femme mariée (à l’un de ses mécènes) qui avait presque le même age que lui. Pas le moindre détournement de mineure à l’horizon, donc !
Mais ces insinuations sont surtout indignes d’Antonio Salieri, que personne n’a le droit de présenter sous un tel jour sans, qui plus est, le plus petit commencement de preuve. Car cet épisode de « la calomnie » est parfaitement anachronique : c’est en effet après la mort de Mozart, et surtout au XIXème siècle, que des ragots circulèrent dans Vienne au sujet des multiples aventures amoureuses qu’il aurait eues avec certaines de ses élèves et certaines de ses chanteuses. Des rumeurs qui ne sont basées sur rien, que Constance demandera à Leopold II de faire officiellement taire et surtout qui ne furent jamais le fait d’Antonio Salieri, réconcilié avec Mozart quelques mois avant la mort de ce dernier.

Avec la scène de la leçon de piano donnée au milieu d’une meute de chiens de toutes les couleurs, censés sans doute protéger la jeune élève des avances de son professeur, nous touchons le fond du grotesque - qui éclabousse jusqu’à Tom Hulce, l’acteur pourtant brillantissime qui incarne Mozart. Un élément, un seul,  est authentique dans cet épisode : Mozart ne supportait effectivement pas le moindre bruit quand il jouait du piano ou donnait une leçon. Mais il y avait sûrement une autre manière de nous le faire savoir !

Dernière absurdité : Mozart, peu de temps avant sa mort, se rend, dans un état d’ébriété avancée, chez un riche bourgeois (sans doute von Puchberg, un « frère » de loge cousu d’or) pour lui soutirer de l’argent, d’abord humblement puis avec de plus en plus d’insistance et enfin en hurlant de désespoir. Les faits sont là aussi complètement distordus : en 1791, Mozart croulait sous les commandes rémunérées et commençait même à rembourser ses hypothèques. Les demandes d’argent qu’il a en effet effectuées auprès de von Puchberg datent de l’été 1788 et de 1790, et furent toujours faites par écrit.

Ajoutons que sept ans après la mort de Mozart, Constance remboursera, avec les intérêts, l’intégralité des prêts accordés par celui qui fut, non pas un « cher frère » mais le simple banquier de son mari.

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